Dans quelques semaines nous élirons une personne qui influera sur des pans entiers de nos vies. Notre santé, et le système qui la préserve, devraient faire partie des priorités, pourtant les candidats abordent très peu le sujet.
Que tous ceux qui s’apprêtent à voter pour des candidats qui n’hésiteront pas à démanteler notre système de santé au profit d’entreprises privées comprennent que ce ne sera jamais à leur avantage
Pendant quelques jours on a pu croire que les Français allaient pouvoir choisir leur candidat à l’élection présidentielle en fonction du programme de chacun d’entre eux. Ainsi, avec Place de la santé, la Mutualité française a offert à chacun l’occasion de présenter ses orientations en matière de santé et beaucoup de médias ont proposé des dossiers sur le sujet. Depuis, les « affaires » ont fait taire les discussions alors que sur le fond beaucoup de questions restent à leur poser à propos des mesures qu’ils ont avancées.
Prévention : promesse ou illusion ?
Une illustration. Tous se retrouvent pour faire de la prévention le point cardinal de leur politique de santé. Mais sur quelle(s) thématique(s), avec quels moyens et quelle organisation ?
Il existe des cibles bénéfiques en termes de santé publique mais pas ou peu populaires et, inversement, des sujets parfaitement inutiles mais qui offrent l’avantage de faire plaisir à tout le monde.
La lutte contre la vitesse rapporte plus que celle contre l’alcool alors même qu’elle n’est plus, et de loin, la première cause des accidents.
Quelques exemples :
Prendront-ils enfin les mesures indispensables pour lutter contre l’alcoolisme, première cause de maladies, d’accidents, de ruptures sociales, première ligne de dépense ? Ce qui demanderait de faire de l’alcoolisme au volant une cause au moins aussi importante que la vitesse en matière de sécurité routière… Mais, et je le démontre, la lutte contre la vitesse rapporte plus que celle contre l’alcool alors même qu’elle n’est plus, et de loin, la première cause des accidents.
Et contre le tabagisme, les candidats porteront-ils enfin le paquet de tabac à 10 € quelle que soit la répercussion de l’augmentation par les fabricants, sachant que c’est désormais la seule mesure efficace ? On a trop vu des ministres de la Santé, de gauche comme de droite, préconiser ces mesures puis se faire recaler en dernière instance par Bercy.
Et quelle idée se font-ils de la prévention qu’ils ont tous à cœur de défendre ? Celle de la période hygiéniste, génétique et capteurs en plus ? Largement poussée par le lobbying des assureurs, une tendance se fait jour dans la population, celle de ne payer que pour ses propres risques : pourquoi irais-je payer le traitement contre le cancer des fumeurs puisque je ne fume pas ? Pourquoi financerais-je l’assurance maladie de celles et ceux qui ne font pas de sport, qui mangent n’importe quoi, voire qui ne cotisent pas ? Si je suis « vertueux » dans ma vie, pourquoi contribuerais-je à payer les comportements « déviants » des autres ?
Pourquoi financerais-je l’assurance maladie de celles et ceux qui ne font pas de sport, qui mangent n’importe quoi ?
Nous sommes tous « déviants » un jour ou l’autre, en étant porteur d’un gène défaillant, en pratiquant un sport à risque, en nous exposant trop au soleil pendant nos vacances, en aimant trop la viande et pas assez les carottes… Et je m’inquiète : que se passera-t-il le jour où, grâce aux géants du Web et aux milliards de capteurs que j’appelle dans ce cas des « mouchards », les mêmes assureurs disposeront de toutes les informations pour nous dicter nos conduites et nous infliger à chaque « déviance » une surprime ?
Enfin, pour qui s’intéresse de près à la prévention, il est flagrant que le Canada, qui en a été le modèle pour la plupart des pays développés, n’en n’a pas tiré les bénéfices promis. La prévention efficace coûte cher et l’argent qu’on lui consacre n’est évidemment plus investi dans le curatif. Illustration : les délais d‘attente pour des interventions au Canada atteignent des niveaux records.
Demain on soigne gratis
Derrière cette tendance se profile un changement radical de modèle : d’un système solidaire et universel nous risquons de basculer vers un modèle individuel ; finie la solidarité entre les générations, entre bien portants et malades. Qui posera la question de leur modèle aux candidats, qui saura les faire sortir de leurs promesses ? « … aucun soin utile ne sera déremboursé », promet Emmanuel Macron qui souhaite aussi rembourser lunettes, prothèses dentaires et appareils auditifs ; « …le niveau de prise en charge des dépenses » par l’Assurance maladie « ne diminuera pas », annonce François Fillon, qui ajoute : « un reste à charge zéro pour les dépenses les plus coûteuses ». Il faut un « droit à la santé universelle », répond Benoît Hamon, quand Marine le Pen déclare qu’elle garantira « la Sécurité sociale pour tous les Français » y compris le « remboursement de tous les risques pris en charge par l’Assurance maladie ». Mais aucun de ces candidats ne donne la formule magique grâce à laquelle réussir le tour de force non seulement de remettre les comptes à l’équilibre mais surtout d’en augmenter la dotation, car la seule prise en charge des restes à charge (RAC) qu’ils promettent tous alourdirait déjà la facture de plusieurs milliards.
Finie la solidarité entre les générations, entre bien portants et malades
Si certains candidats avancent des solutions – transferts de compétences entre régimes obligatoire et complémentaire, suppression de certaines aides… –, il est nécessaire qu’ils expliquent, devant des experts, comment ils comptent financer leur programme santé alors même que les hôpitaux sont en crise profonde et leur personnel à bout de souffle. Les citoyens ne leur demandent pas de rentrer dans les détails et d’exposer des « mesurettes » mais leur ambition et la vision qui les habitent pour notre système de santé.
Quel diagnostic pour quel traitement ?
Et même, avant de connaître les remèdes, nous voudrions être sûrs que les candidats disposent tous d’un diagnostic précis et rigoureux de la situation. J’affirme et démontre dans mon essai que « plus de 50 000 personnes meurent des dysfonctionnements de notre système de soin, l’équivalent d’une ville comme Angoulême ou Bastia rayée de la carte chaque année.
Plus de 50 000 personnes meurent des dysfonctionnements de notre système de soin, l’équivalent d’une ville comme Angoulême ou Bastia rayée de la carte chaque année
Car avancer des grandes idées, parfois généreuses, parfois fondées, d’autres fois parfaitement irréalistes est une chose, devoir s’en expliquer, argumenter pour convaincre, nous parlons de médecine, en est une autre. Par exemple, supprimer l’aide médicale d’État (AME) sauvera la Sécurité sociale selon Madame Le Pen. L’AME représente un budget d’1 million d’euros sur 500 millions d’euros, 1/500e ; on joue à la marge. Mais, surtout, pense-t-elle raisonnable que des personnes porteuses de la tuberculose, par exemple, habitent dans nos villes sans être soignées ? Compte-t-elle demander aux médecins de ne plus soigner les sans-papiers et les sans-le-sou ? Il faudrait pour cela modifier la Constitution, le Code de santé publique et transformer le serment d’Hippocrate. Qu’en pense le Conseil national de l’ordre des médecins ?
Benoît Hamon, lui, considère l’hôpital comme le navire amiral de la flotte santé et, estimant qu’il va mal, souhaite le sortir de la tarification à l’activité (T2A). S’il est indéniable que cette tarification a des effets délétères pour certaines activités, particulièrement dans la médecine de pointe et le médico-social, est-ce la priorité pour sauver l’hôpital public ? Et, en amont de cette question, faut-il sauver ce vestige de la fin de la Seconde Guerre mondiale ?
Pas sûr que tous nos candidats répondent de la même manière à cette question. Pour certains le privé fait mieux et moins cher, pour d’autres une concurrence entre privé et public est saine, pour d’autres enfin l’hôpital public est la seule voie pour garantir à tous un accès aux soins. Se sont-ils positionnés sur cette question centrale ?
Non.
Je démontre aussi dans cet essai, preuves à l’appui, que la fin des petits et moyens hôpitaux publics est programmée et quasi inéluctable. Qui me répondra ?
La fin des petits et moyens hôpitaux publics est programmée et quasi inéluctable
Nous attendons aussi toujours des candidats qu’ils annoncent ce qu’ils feront en faveur des personnes âgées et handicapées. Leur enfermement constitue un authentique scandale de santé publique, révélateur d’un manque d’intérêt politique comme d’un manque d’opportunité industrielle devant un champ qui s’ouvre considérablement, démographie oblige.
Candidats, c’est l’heure de l’examen médical
Aucun des candidats ne semble avoir pris la mesure de la situation extrêmement périlleuse dans laquelle se trouve notre médecine hospitalière comme libérale. J’explique dans mon essai que ce déni de réalité tient au fait que les candidats comme leurs conseillers n’ont pas recours à la même médecine lorsqu’ils en ont besoin que le commun des Français.
Ce déni de réalité tient au fait que les candidats comme leurs conseillers n’ont pas recours à la même médecine lorsqu’ils en ont besoin que le commun des Français
Cela suffit-il à justifier cette myopie, sinon cet aveuglement ? Il est grand temps que les candidats s’expliquent maintenant sur le fond de leur programme santé.
Antoine Vial
Sérieusement ?
On a largement les moyens, le personnel, les équipements et les idées pour avoir (entre autres) un service de santé heureux et efficace, pas besoin de l’inventer, juste de le choisir, de le libérer.
Il suffit de dire stop aux firmes qui volent l’argent directement dans les poches en toute légalité depuis des décennies avec la complicité des pouvoirs publics et notre consentement. Elles ne font que mettre le poison et le pseudo antidote sur la table, et nous fonçons parce que le poison a bon goût, que l’antidote est gratuit, du moins en apparence, et que les professionnels prescripteurs sont manipulés.
Pourquoi s’arrêteraient-elles tout à coup parce qu’il y a une élection en France ?
Peu importe les programmes des uns et des autres tant que nous demeurons aveugles et apeurés, le tout savamment entretenu.
Un coup d’œil de 30 secondes avec le cerveau d’un enfant de 7 ans dans les comptes de la sécu montre qu’il n’y a aucun problème structurel, juste un intelligent système financier qui presse un citron jusqu’à la dernière goutte. Mais comme le citron en redemande…
Le « trou » n’est là artificiellement que pour justifier la ponction sur les salaires et maintenir la crainte infondée du « pire ».
On peut faire la même démonstration avec la dette, le chômage ou le terrorisme,… La technique est rodée et des plus efficace.
Le meilleur candidat, c’est la somme de ceux qui refusent d’être un citron, résistent pacifiquement et inventent. Quand un « client » se responsabilise et se détourne, le « vendeur » s’adapte, mais tant qu’il est solvable et peu regardant… Tant que je gagne, je joue, on est tous pareils !
Cette élection est déjà perdue pour tous, quel que soit le résultat. Il y aura bien quelques « mesurettes » mais le fond demeurera. Les 5 prochaines années ne peuvent plus voir émerger une solution politique par le haut. Par contre, une solution populaire n’a pas besoin d’attendre 2022, sinon il risque d’y avoir le même genre d’offre sur l’échiquier des dirigeant s’il y a le même genre d’administrés. Les vendeurs n’auront pas fermé boutique si nous continuons d’en pousser la porte.
J’observe, je fais ma part, je suis confiant, les esprits évoluent, faut dire que le trait devient si gros !
Merci Sabrina pour ce beau sujet où on peut se lâcher.
Eh bien… je n’ai qu’une chose à dire : j’adore mes lecteurs ! Merci à vous d’élever le débat et d’y apporter des contributions aussi lucides et intéressantes. Grâce à ce genre de commentaire je me réjouis de voir que j’ai réussi à créer un petit espace, accessible à n’importe qui du monde entier, où des esprits intéressants partagent leurs réflexions 🙂
En entendant les propositions des candidats, je pense aussi qu’ils ne vivent pas les situations auxquelles devrait répondre le système de santé. L’exemple du “Trumpcare” appelé à remplacer “Obamacare” aux USA devrait contribuer (douloureusement) à cette réflexion.
Ils sont à côté de la plaque parce que, pour faire de la politique, il vaut mieux bénéficier d’une santé de fer… D’autre part, ils appartiennent à cette tranche de la population qui, en cas de problème, peut s’offrir un accès à la médecine privé ou bénéficie de la prise en charge de coûteuses mutuelles. Ajoutons qu’à Paris les délais d’attente pour une consultation de spécialiste sont nettement moins longs que dans d’autres régions.
Les mesures de “prévention” sont d’une faible efficacité et servent surtout à préserver l’image du gouvernement — à défaut de la santé des gouvernés. Ainsi, l’étiquettage “préventif” des produits alimentaires (insensé car unidimensionnel) a déjà coûté un milliard d’euros pour sa mise en place, et s’avèrera totalement inutile puisqu’il ne sera pas obligatoire.
Proposer à tout citoyen le remboursement à 100% sans discernement me paraît démagogique dans un contexte de mainmise de l’industrie pharmaceutique sur les décisions politiques. Il faudrait d’abord arriver à réguler ce marché en finançant notamment des études indépendantes sur l’efficacité des médicaments. Par exemple les statines (voir article sur mon site) et les médicaments anti-hypertenseurs, les deux couvrant la majorité du marché des médicaments remboursés par la Sécu.
La médecine gratuite est une idée généreuse mais elle nécessiterait une prise de conscience des patients-citoyens sur les effets iatrogènes de certains traitements et les moyens de les éviter en adoptant un mode de vie plus sain chaque fois que possible. C’est en premier à l’école qu’on peut transmettre ces messages, pas besoin d’étiquettage pour cela, et encore moins de gadgets connectés.
La prise en charge à 100% d’une affection de longue durée (je pense dans mon cas aux suites d’un syndrome coronarien) sauve des vies (on n’hésite pas à consulter dans l’urgence) mais peut entraîner des dépenses dont l’usager n’a aucune idée. On m’a par exemple prescrit 21 séances de “réhabilitation” pour grosso-modo “apprendre à bouger”, prises en charge à 100%. Chaque fois, une journée dans un grand pavillon hospitalier équipé de machines qui servent à fournir des efforts mesurés selon un programme adapté à l’état d’avancement du patient. Avec un personnel à peu près égal en nombre à celui des patients qui viennent suivre leur entraînement en groupe.
A première vue c’est formidable : on s’occupe de vous et d’ailleurs tout le monde est content ! L’hôpital est bien coté mais nulle part on ne peut connaître l’effet sur le long terme de cette réhabilitation. Combien de patient-e-s continueront à s’exercer régulièrement chez eux, sans machine ni supervision de professionnels ? Quel est l’impact de cette réhabilitation sur la survie dans les 5 années à venir ? Quel est le taux de rechute en accident cardiovasculaire, comparé à celles/ceux qui n’ont pas suivi le programme ?
Mais surtout, y aurait-il des méthodes plus efficaces ? La réhabilitation ainsi pratiquée me rappelle l’élevage en batterie. Le suivi consiste surtout à remplir un tableau Excel… Même les entretiens se résument souvent à répondre à des questionnaires préformatés (et pertinents). Tout cela permet de faire des statistiques et de présenter des “résultats” sans jamais remettre en cause leur pertinence.
On utilise des vélos ou des tapis roulants parce que ce sont les machines les plus simples pour mesurer la vitesse et la puissance développée. Or la musculation peut se faire par d’innombrables autres exercices adaptés aux capacités du patient, le plus souvent sans machine coûteuse : quelques paires d’haltères, un banc de travail, un minuteur, une ceinture cardiofréquencemètre, il y en a pour moins de 150 euros. L’important est d’apprendre à bouger chez soi, sur un trajet de marche ou de course à l’extérieur, une piste cyclable, en piscine etc.
On peut donc imaginer une approche radicalemnt différente qui consisterait à utiliser tout l’argent investi dans la mise en place et le fonctionnement de ce pavillon pour rémunérer des ergothérapeutes, psychomotricien-ne-s, kinés etc. qui se déplaceraient au domicile du patient pour l’aider à mettre en place son programme de réhabilitation et d’entretien sur le long terme. Le suivi médical étant assuré par les médecins généralistes, plus de temps en temps un-e cardiologue. Suivi téléphonique aussi pour certaines personnes qui vivent seules et y trouvent un réconfort.
Au domicile, on peut aider le patient à adopter de meilleures habitudes, entre autres aborder la question d’une hygiène alimentaire adaptée à ses goûts et son environnement familial. Plutôt que de servir des repas insipides dans le centre de réhabilitation. L’insipidité sert à se convaincre qu’on est “au régime”…
Dans les 21 séances qui m’avaient été prescrites (j’y suis allé 2 fois pour voir) était inclus le déplacement en taxi, plus de 100 km chaque fois. Faites le calcul !
Ce long exemple pour dire que dans certaines branches de la médecine on pourrait faire mieux et moins cher sans pour cela demander l’impossible au personnel médical – voir l’entretien hallucinant du candidat Fillon avec des infirmières diffusé hier soir à l’Emission politique sur France 2…
Ta démonstration est admirable, je pense que tu résumes ce que beaucoup pensent aujoud’hui : la santé passe par de nombreuses choses qui ne dépendat pas de machines ou de produits chimiques que l’on facture à l’Etat au nom de tous, en tout cas pas dans ces proportions dantesques.
Tout cela me fait aussi penser à une citation qui résume en la situation de “dépendance” débilitante dans laquelle nous nous trouvons face aux médecins (et ses conséquences que tu abordes):
« Un jour viendra où le principal avantage d’apprendre la médecine sera de se protéger contre les médecins »
Jacques Ferron, Le Saint-Elias.
Merci pour ton commentaire très intéressant 🙂