Oppressés par ce monde dans lequel la finance écrase tout sur son passage, beaucoup d’entre-nous rejettent la société et souhaitent s’en extraire voire la détruire pour en reconstruire une nouvelle.
Les mots “révolte“, “révolution“, “renverser le pouvoir” fleurissent dans les bouches. Mais une révolution violente est-elle une bonne idée ?
Marc Albert Chaigneau, conseiller en société, avocat d’affaire et responsable juridique a réformé pendant trente-cinq ans des centaines d’entreprises de l’intérieur. Il a accompagné en interne ces grands groupes pour modifier leurs pratiques afin que les salariés s’y sentent mieux et pour que l’entreprise gagne en efficacité. Il a compris que construire une entreprise c’est avant tout s’appuyer sur chaque identité qui la compose. Que c’est apprendre à faire confiance à chacune d’entre elles en la laissant agir avec un maximum d’autonomie.
Après avoir procédé avec succès à ces “révolutions douces” en entreprises, Marc Albert Chaigneau s’est dit : pourquoi ne pas appliquer cela à tout un pays ? Il propose donc dans son dernier livre De la révolution à l’inversion des solutions très concrètes qui pourraient changer ce système que nous ne supportons plus afin d’opérer doucement à une transition par l’inversion.
Son constat premier est le suivant : la révolution traditionnelle, violente, telle qu’on la connaît ne sert à rien. Toutes les révolutions de ce type qui ont eu lieu dans l’histoire sont des échecs cuisants.
Pour la France par exemple, en 1789 le régime de démocratie républicaine qui a succédé à l’Ancien Régime était plus proche de la “dictature sanglante” qu’autre chose et “alors que son objectif était la construction d’un société idéale il s’est trouvé dévoyé par les querelles, les ambitions personnelles et l’incompétence des dirigeants“. Cela concerne toutes les autres révolutions (russes, chinoises et j’en passe).
Toute révolution violente jusqu’à ce jour a engendrée de nouveaux régimes similaires précédents où le pouvoir reste entre les mains de quelques-uns : monarques, représentants politiques ou oligarques. Au final avec une révolution violente le peuple subit l’agitation durant des mois, le pays chamboulé met encore du temps à se relever : tout cela pour finalement revenir au point de départ et confier le pouvoir encore aux mains de quelques-uns.
“Son constat premier est le suivant : la révolution traditionnelle […] telle qu’on la connaît ne sert à rien […] le peuple subit l’agitation durant des mois, le pays chamboulé met encore du temps à se relever : tout cela pour finalement revenir au point de départ et confier le pouvoir encore aux mains de quelques-uns.”
Il serait donc temps, si nous voulons transformer notre pays, de s’intéresser aux manières dont on pourrait le faire mais sans reproduire les erreurs du passé.
Discutons-en avec Marc Albert Chaigneau qui nous propose une idée clef pour changer notre pays sans violence : l’inversion.
CaSeSaurait : Vous introduisez votre livre en disant “nombreux sont ceux qui, comme moi, ressentent un profond malaise et considèrent que notre société, l’humanité, évoluent dans une mauvaise direction. […] nos institutions sont faussées, malsaines, […] elles ne parviennent jamais aux résultats attendus ou à des résultats seulement satisfaisants. […] la situation va en s’aggravant. […] les peuples aspireraient à autre chose. Mais quoi ? Il n’y a pas de projet crédible. Les modèles, notamment marxistes, ont tous échoués. Les utopies sont impossibles à mettre en oeuvre.“
Votre constat, grave et sans ambages, est effectivement partagé par beaucoup. Nombre d’observateurs de la vie publique en France et ailleurs n’excluent pas que le peuple se révolte prochainement. Partagez-vous ce pressentiment ? Une révolution pourrait-elle renverser bientôt notre pays ?
Marc Albert Chaigneau : Il ne me semble pas que notre pays, ni les autres pays développés du monde, soit à la veille d’une révolution ou d’une situation insurrectionnelle, telles que celles vécues dans le passé. Les problèmes sont différents, une certaine conscience politique plus répandue. Néanmoins, comme vous l’avez exposé, comme nous l’entendons de plus en plus, de moins en moins de gens ont confiance dans les institutions. Et le personnel politique a une image déplorable, largement méritée d’ailleurs. En dehors d’eux, cela n’amuse plus personne de les entendre trouver tous les prétextes du monde, pour ne pas tenir leurs promesses.
“Il ne me semble pas que notre pays, ni les autres pays développés du monde, soit à la veille d’une révolution ou d’une situation insurrectionnelle”
Au-delà de la lecture habituelle de l’histoire, les révolutions se sont déroulées à des périodes particulières. Dans des conditions sociales, économiques et climatiques, qui n’ont été que récemment étudiées et étaient auparavant complètement négligées. En outre, en application d’idées qui avaient circulé, s’étaient diffusées et avaient été débattues dans certains cercles. La Franc-Maçonnerie et certains salons, pour la révolution Française. L’Histoire (avec un grand H) n’a retenu les noms que de quelques personnalités, mais le déroulement des évènements montre que les acteurs ont été nombreux.
Même si, du fait des excès d’immigration et du terrorisme, nous devions connaitre une situation insurrectionnelle, je pense qu’elle déboucherait vraisemblablement vers une guerre civile intercommunautaire et pas vers une nouvelle société. Les facteurs ne me semblent pas réunis.
CaSeSaurait : De manière générale, et particulièrement en France avec 1789, les révolutions sont glorifiées et vues comme des événements positifs. Vous écrivez pourtant qu’a contrario de ce que l’on imagine les révolutions antérieures ont mené à des régimes encore plus inégalitaires. Alors qu’avez-vous envie de dire à tous ceux qui n’en peuvent plus et qui fomenteraient prochainement de tout renverser par la violence ?
Marc Albert Chaigneau : Je ne les crois pas aujourd’hui très nombreux et l’horreur montrée par les attentats terroriste me semble plus susceptible de calmer les ardeurs des gens raisonnables, que les inciter à recourir à la violence.
Mon livre, mes livres et mes articles, ont justement pour objet de proposer une autre voie. Non destructrice, sans violence, en modifiant progressivement les comportements, les systèmes, les méthodes, ce qui entrainera petit à petit un changement de société.
Et pour cela, au lieu de chercher un héros, de compter sur un être providentiel, qui pourrait tout changer, il faut que chacun se prenne en charge et assume ses responsabilités. Atténuer puis réduire, peut être supprimer, les relations de domination-soumission, pour les remplacer par des relations d’échange. En ayant une législation qui assure qu’une partie ne puisse imposer à l’autre, les deux termes de l’échange.
CaSeSaurait : Dès le début de votre livre vous interrogez le principe de république démocratique : “suffit-il d’élire des représentants au suffrage universel pour considérer que c’est le peuple qui gouverne ?” Votre constat est clair : l’état providence et ses administrations semblent bien plus nous asservir que nous servir, le travail – valeur fondamentale sur laquelle repose notre société et qui occupe les trois quart de notre temps – est vécu par la plupart d’entre nous comme une aliénation, une servitude et la finance, qui devrait être au service de l’humain, semble plutôt se servir des humains sans états d’âme. Pour vous ce système de république démocratique présente de “nombreux inconvénients” et “donne le pouvoir de décision, dans la plupart des domaines, à des personnes qui ne sont ni concernées, ni compétentes [or] il est toujours facile de prendre des décisions pénibles et douloureuses lorsqu’on sait que l’on n’aura pas soi-même à en subir les conséquences”.
On touche là du doigt un point très important de votre réflexion : ce système du “pouvoir au mains de quelques-uns” expliquerait la situation catastrophique dans laquelle nous sommes aujourd’hui (à savoir la majorité du peuple opprimée qui subit les décisions de hauts-placés).
Pour vous il serait donc temps de questionner les fondements-mêmes de notre régime. Pourtant, ne trouvez-vous pas que cette question semble être absente du débat public actuel ?
Marc Albert Chaigneau : Effectivement, je m’étonne de ce qui occupe le débat public. Dans un article, j’ai relevé que le « Mariage pour tous », qui n’a concerné que quelques milliers de personnes, a fait l’objet d’un débat plus large et plus animé, que le problème du chômage, qui en concerne au moins quatre millions. Vous relevez que le pouvoir est entre les mains de quelques-uns, que ceux-ci n’apportent aucune solution aux problèmes. Que des nombreux dirigeants se sont succédé, qui n’ont jamais fait mieux. Mais chacun propose de changer les dirigeants, personne ne remet en cause le modèle. Sont-ce les dirigeants qui ont échoué ou le modèle ? Combien faudra-t-il changer de fois les dirigeants, avant de le remettre en cause ?
De quoi le débat public est-il constitué ? De spectaculaire, de dramatique. Chaque nouvel évènement doit être encore plus dramatique, ou horrible que le précédent, pour faire la une des médias. Provoquer un scandale, des émotions fortes, une mobilisation immédiate de l’opinion publique. Des réactions et des mesures instantanées des dirigeants. Est-il possible, dans ces conditions, d’aborder les problèmes de fond, qui demandent étude et réflexion ? Qui ne puissent être résolus que par tâtonnement, en cernant les problèmes et leurs causes, par approximations successives.
CaSeSaurait : Maintenant que nous avons fait le constat de la situation actuelle, venons-en aux solutions que vous proposez concrètement. Le principe clef qui selon vous pourrait avantageusement remplacer la révolution est l’inversion. Ce principe se base sur ce qui est pour vous le problème principal de notre société : le pouvoir est toujours aux mains de quelques privilégiés. Par exemple en France, notre organisation républicaine avec un président et des ministres revient à “confier une boucherie à un garagiste” puisque ces politiques passent d’un domaine à l’autre sans arrêt. Ces quelques-uns qui détiennent le pouvoir ont jusqu’à maintenant fait preuve d’une incompétence manifeste puisque “l’état de la société, la misère et la souffrance, loin de régresser, s’étendent et s’accentuent” et que “les politiques qu’ils mènent, les choix qu’ils font, ne sont jamais favorables qu’à eux-mêmes, leurs semblables et affiliés.”
“d’un côté certains sont entretenus comme des pachas, dotés de logements, de véhicules et de personnel de fonction, pour accomplir des tâches agréables et valorisantes dans des conditions somptueuses [de l’autre il y a ceux] qui accomplissent les tâches les plus ingrates [et] vivent dans la plus extrême précarité.”
Pour que ceux qui nous lisent aujourd’hui (et qui n’ont pas encore lu votre livre) comprennent exactement ce dont nous parlons : quelles sont les conséquences directes et concrètes de ce système pyramidal de société dans lequel nous vivons aujourd’hui sur nos vies quotidiennes ?
Marc Albert Chaigneau : Ces conséquences sont nombreuses, diverses et variées. La principale est, à mes yeux, l’irresponsabilité. En effet dans une structure importante, personne ne se sent responsable et tout est organisé pour éviter que les dommages soient reconnus et réparés. Lorsque l’on applique des ordres en provenance d’une cascade hiérarchique, qu’il est inenvisageable de les contester, qu’on est contraint, sous peine de sanction financière, voire de licenciement, d’appliquer des consignes en sachant qu’elles produiront des dommages. Comment s’en sentir responsable ? Lorsque l’on est un rouage de la hiérarchie, que l’on transcrit, voire précise ou fixe les modalités, de choix que l’on n’a pas fait. Comment s’en sentir responsable ? Lorsqu’on est au sommet d’une hiérarchie, on ne peut fixer que de grandes lignes. On ne peut avoir connaissance, ni prendre en compte la diversité des situations ? Comment se sentir responsable de telle ou telle action ? De tel ou tel dommage, concernant des évènements, dans des lieux, envers des personnes dont on ignore tout ?
“dans une structure importante, personne ne se sent responsable et tout est organisé pour éviter que les dommages soient reconnus et réparés.”
Dans nos vies quotidiennes, nous y sommes souvent confrontés. Il y a un peu plus d’une quarantaine d’année, lors de mes débuts d’activité, les guichetiers des banques que je fréquentais, avaient plus de pouvoir, qu’un directeur d’agence actuel. Les relations des « banquiers » personnel des agences, avaient un caractère personnel. De nos jours, les dirigeants veulent que l’attachement de la clientèle aille à la marque. A la dénomination de la banque et ne s’attache surtout pas aux individus qui la « représentent ». Leurs arguments sont d’une part, d’éviter la concussion ou le fait que des considérations de relations personnelles incitent leur collaborateur à soutenir « excessivement à leurs yeux », un client qui ne remplirait pas les conditions. Vis-à-vis du personnel, ils présentent les mouvements rapides, le jeu des chaises musicales, comme une méthode d’avancement hiérarchique. Les relations sont déshumanisées et personnels et clients en ressentent un malaise.
CaSeSaurait : La notion d’inversion que vous prônez pour mettre fin aux inégalités serait donc de supprimer ce système pyramidal de hiérarchie sociale ?
Marc Albert Chaigneau : Je vous prie de m’en excuser, mais je ne saurais souscrire à cette présentation de mes propositions. La méthode que je propose est une méthode douce. Le terme de « suppression » est trop brutal pour la décrire. Ma proposition consiste à faire évoluer les choses dans un sens favorable, alors qu’actuellement, la situation ne cesse de se dégrader. Pas à détruire, contrairement à ce qui se passe dans une révolution, mais à apporter des modifications progressives et maîtrisées. En contrôlant les effets et les conséquences au fur et à mesure, de façon à changer ce qui s’avère défavorable. Mais en effet, je pense que le système hiérarchique débouche nécessairement sur l’irresponsabilité, au moins tel qu’il fonctionne actuellement. Et que la responsabilité est la clef principale.
CaSeSaurait : Pouvez-vous nous donner des exemples concrets de la manière dont l’inversion pourrait être mise en place dans notre pays ?
Marc Albert Chaigneau : Je donne quelques exemples dans mon livre. Le principe est assez simple : le premier qui se trouve confronté au problème doit être à même, disposer des pouvoirs et avoir accès aux moyens, de le résoudre. Ceci suppose bien sûr une certaine compétence. Pour prendre l’exemple d’une agence de banque, le guichetier devrait avoir le pouvoir d’accorder toutes les facilités courantes, en concertation avec le personnel de l’agence. Ceux-ci devant se répartir les tâches et les services centraux, devraient être à leur service et non le personnel des agences à leurs ordres et discrétion.
Pour prendre un exemple fonctionnel et non catégoriel, de nos jours, la plupart des recrutements sont faits par des responsables du personnel, agences, services spécialisés ou par Pôle Emploi. Au-dessus d’un certain niveau hiérarchique, de responsabilité, à mes yeux de pouvoir, ceux-ci sont faits par cooptation. C’est ce processus, adapté selon les situations et les circonstances, qui devrait intervenir le plus souvent et à tous les niveaux. Le recrutement devrait être effectué par les collègues, les personnes qui auront à travailler avec le nouvel embauché.
Dans les administrations, la plupart des agents n’ont aucun pouvoir, dans mon livre, je donne l’exemple d’une amie, amputée d’une jambe et qui avait besoin d’une carte d’handicapée, notamment pour stationner sa voiture sur les emplacements réservés. Elle a dû faire de multiples démarches, se présenter plusieurs fois, remplir des dossiers, passer devant des commissions, être examinée par des médecins. En pratiquant l’inversion, elle se présentait une fois, l’agent qui la recevait constatait qu’elle était unijambiste, ce qui ne demande pas de compétence particulière et lui délivrait immédiatement la carte et le certificat. Tous les dossiers ne pourraient pas être traités de cette façon, mais le traitement de la plupart pourrait être largement simplifié. Supprimer des tâches inutiles réduirait les coûts et permettrait de se consacrer à des tâches utiles et il en existe de nombreuses qui sont négligées.
CaSeSaurait : Qu’est-ce qui selon vous fait que, malgré les souffrances ressentis par la plupart d’entre nous dans ce système, personne ne bouge, rien ne change ? Même l’idée de révolution en fait rire beaucoup qui croient au contraire que le peuple est “totalement endormi” et qu’il ne semble pas prêt de se réveiller…
Marc Albert Chaigneau : La situation n’évolue que lentement et contrairement au discours ambiant, beaucoup de choses changent, assez peu mais souvent, par un grand nombre de petites touches, que l’on pourrait qualifier de saupoudrage, dans un sens puis dans l’autre. Ainsi chacun est confronté à un certain nombre de petits changements personnels, générant une instabilité, dont ce qu’on appelle actuellement la précarité, vécue par soi-même, ou par ses enfants ou des proches, fait partie.
“La complexité des relations avec les administrations dépasse désormais ce qui a existé au sein du régime soviétique. Ce qui détermine la plupart d’entre nous à ne rechercher que des loisirs de détente, de repos. […] le comportement courant consiste à fuir et non à étudier ou réfléchir, sur les problèmes que pose notre société. S’agit-il de sommeil ? Je parlerais plutôt d’anesthésie. “
Depuis maintenant plusieurs décades, chacun est confronté à un nombre de plus en plus important de contraintes, qui l’occupent, voire le submergent et provoquent une anxiété. Les obligations administratives, ont été plus que décuplées. La complexité des relations avec les administrations dépasse désormais ce qui a existé au sein du régime soviétique. Ce qui détermine la plupart d’entre nous à ne rechercher que des loisirs de détente, de repos. Par les vacances, en dehors des périodes de travail. Et lorsqu’on considère leur nature, les clubs de vacances, les livres et les films qui ont du succès, on se rend compte que le comportement courant consiste à fuir et non à étudier ou réfléchir, sur les problèmes que pose notre société. S’agit-il de sommeil ? Je parlerais plutôt d’anesthésie. Cela ne me fait pas rire, je regrette d’avoir, même pour une faible part, participé au développement de cette situation.
CaSeSaurait : Quelle place tiennent selon vous les médias dans l’acceptation par la plupart d’entre nous de ce système de société qui cause finalement tant de souffrances et si peu d’épanouissement ?
Marc Albert Chaigneau : Le rôle des médias me semble important. Non pas que je pense que les journalistes soient volontairement complices du système. Certains sans doute, mais comme les poissons volants, ils ne sont pas la loi du genre. Lecteur assidu du Canard Enchainé, je relève souvent dans ses articles, les censures imposées activement ou passivement, aux médias par les propriétaires ou les annonceurs. A de très rares exceptions près, les médias sont désormais des instruments aux mains de groupes financiers, qui les utilisent exclusivement dans l’intérêt de leurs entreprises et pour réaliser, directement ou indirectement, le plus de profit possible. L’information n’est plus pour eux qu’un moyen, un instrument au service de leurs produits et de leurs profits. Sa qualité et sa véracité n’intéressent plus les dirigeants. Dès lors qu’il y entente, ou communauté d’intérêt, avec les politiques, ils deviennent des instruments de manipulation de l’opinion publique.
CaSeSaurait : Pour vous le système actuel de “république démocratique mal appliquée” utilise le capitalisme et les chiffres comme jauge de tout succès sans jamais prendre en compte l’humain. Notre système sacrifie l’humain pour sa soi-disant efficacité or aujourd’hui l’efficacité, le profit ne sont plus au rendez-vous. Vous complétez votre idée en disant que notre système mondialisé, qui transporte, importe, produit, délocalise à l’étranger “ne peut apparaître comme plus économique qu’une production locale [car] ce système détermine une multitude de travaux [notamment administratifs et financiers] qui ne contribuent en rien à la création de richesses ou de services dont les humains bénéficient”.
Le capitalisme et son obsession du chiffre au détriment de l’humain mais aussi la mondialisation vous intéressent mais malgré tout vous pensez que c’est vraiment la hiérarchisation qui est à l’origine de la plupart de nos problèmes de société (c030hômage, précarité, sensation d’inutilité, individualisme, etc.). D’ailleurs vous n’êtes pas du tout anticapitaliste. Alors finalement, est-ce que l’inversion c’est un certain retour au “local” dans tous les sens du terme ?
Marc Albert Chaigneau : Effectivement, je ne suis pas anticapitaliste. D’ailleurs j’ai écrit un ouvrage titré : Le capitalisme n’existe pas. La thèse que j’y développe consiste à dire que toutes les économies ont toujours été capitalistes. Que si l’on analyse l’usage actuel des termes, que l’on parle d’économie ou de capitalisme, on parle de la même chose. Qu’il n’a jamais existé d’économie « collectiviste » ou « communiste ». Que l’union soviétique a pratiqué un capitalisme d’état. Que la plupart des pays soi-disant communistes sont des dictatures sur le plan politique et pratiquent le capitalisme d’état, sur le plan économique.
Je ne pense pas que la hiérarchie soit à l’origine de tous, ni même de la plupart des problèmes sociaux. Elle est le plus souvent une conséquence, voire un épiphénomène. Si je dois désigner une source principale, ce sera la concentration des pouvoirs. Mais il existe un certain nombre d’autres phénomènes qui contribuent à la situation actuelle. L’inversion, tendant à la dilution des pouvoirs et le retour à un mode de responsabilité moins artificielle, permettrait d’en sortir.
“Je ne pense pas que la hiérarchie soit à l’origine de tous, ni même de la plupart des problèmes sociaux. Elle est le plus souvent une conséquence, voire un épiphénomène. Si je dois désigner une source principale, ce sera la concentration des pouvoirs.”
J’adhère tout à fait à ce que vous appelez un retour au « local ». Mais il ne me semble pas possible de résoudre les problèmes par rapport à ce seul paramètre. Pour s’engager dans cette voie de façon pérenne, de nombreuses réformes sont nécessaires, fiscales, comptables, sociales et surtout mentales et comportementales.
Sur le plan des mentalités, le plus grand désordre me semble relever du « monétarisme », la monnaie étant désormais le seul paramètre universellement reconnu. Sur le plan comportemental, je considère l’irresponsabilité comme principale cause. Qui, de nos jours, est prêt à assumer toutes ses responsabilités ? A réparer toutes les conséquences dommageables, de ce qu’il fait ou a contribué à faire ? Ce qui est, en même temps, la principale cause et la principale conséquence, (le corollaire) de la concentration des pouvoirs.
CaSeSaurait : Certains pourraient qualifier votre discours et vos propositions de “naïves”. Vous dire que ce que vous proposez est proche du communisme qui a “fait la preuve de son échec” ou encore que la démocratie réelle avec participation de chacun est impossible. Que leur répondez-vous ?
Marc Albert Chaigneau : Je leur répondrais que j’ai beaucoup étudié le communisme. Que, comme beaucoup, l’utopie m’a séduit lorsque j’étais adolescent, mais que j’ai très vite compris que son dogmatisme servait à masquer l’envie et la jalousie, de ceux qui voulaient l’utiliser comme un instrument de pouvoir. Il y a de bonnes choses dans le communisme. L’idée de communauté et de solidarité, le collectivisme. Tout cela a été dévoyé, ici encore, par la concentration des pouvoirs et l’exacerbation de relations de domination soumission.
“Je crois que le capitalisme d’état est le pire de tous les capitalismes, qui n’aient jamais existé.”
Je crois au collectivisme, mais dans des structures limitées et dotées de « l’affectio societatis ». La volonté de vivre ensemble, le partage d’un objectif commun. Je crois que le capitalisme d’état est le pire de tous les capitalismes, qui n’aient jamais existé. A l’opposé, je considère que le droit de propriété devrait connaitre des limitations, par une responsabilité directe et personnelle, de toutes conséquences des actes réalisés grâce à ces biens et l’obligation individuelle d’en assumer les conséquences. Que tout mandat, politique, financier ou de gestion, doive définir un objectif et soit résilié, lorsque celui-ci n’est pas atteint.
Certains accusent ma proposition d’être utopique, mais l’utopie consiste à décrire un système fonctionnant dans des conditions prédéfinies, dans un lieu imaginaire. Ce que je propose est réalisable ici et maintenant. Par des humains de bonne volonté, solidaires et responsables des conséquences de leurs actes.
De la révolution à l’inversion de Marc Albert Chaigneau aux éditions Edilivre (disponible en format papier ou e-book).
Le blog de l’auteur vous en dira plus sur son parcours.
Alors, que pensez-vous lecteurs de cette alternative à la révolution ?
Merci pour cette découverte ! C’est passionnant et cela pose pour moi des mots sur beaucoup de mes interrogations. Un grand Merci.
Bonjour Oraline, merci à vous d’avoir pris le temps de commenter, c’est en effet une belle lecture à découvrir, en plus en ce moment ce n’est pas forcément le temps qui manque ! 😉
Je pense qu’on a tous subi les incohérences et les abus de pouvoir qu’il dénonce à juste titre.
Admettons qu’on soit d’accord avec tous les « il faudrait plutôt », ce qui n’est pas dur puisqu’il propose du plus simple et du plus juste. On prend forcément.
Inversion OK, mais il s’agit d’inverser le cours d’un train de marchandises surchargé, sans frein ni pilote sur des rails savonnés.
Admettons. Ce qui me manque c’est le comment ? Comment on fait plier la lourdeur technocratique accrochée au statu quo, aux privilèges et à la complexité ? Comment on reprend ce pouvoir, sans violence (évidemment !) mais sans espérer non plus que ses détenteurs intelligents et prévoyants se réveillent subitement enclins à le rendre d’eux-mêmes ? …
Je n’ai pas lu son livre donc c’est peut-être dedans. Mais j’avoue que je ne me sens pas transporté par l’envie irrépressible d’aller le lire car sa présentation manque de réenchantement, et il en faut aux endoloris timorés et gavés de promesses que nous sommes pour lever le petit doigt ou signifier un début de refus généralisé et constructif.
Un autre point me gêne, mais pareil, il en parle probablement dans ses livres, et j’ai horreur de « critiquer » sans avoir étudié, donc pardon si c’est le cas et disons que ce n’est que pour lancer de la matière à discussion amicale et ouverte.
Quelle est la pertinence d’un changement, si sensé soit-il, s’il reste franco-français ? Je pense qu’il faut lier cela au délitement mondial autrement plus rapide et potentiellement dangereux car il n’y a pas d’isolement possible. Autrement dit, les priorités sont-elles les bonnes si tout doit être emporté par ailleurs ? Se pencher sur une réforme en profondeur progressive chez nous exige je pense d’œuvrer hors de nos frontières, et dès le départ, sur bien des sujets pour être crédible, honnête et simplement protéger et rendre pérennes ces progrès que nous convoitons.
Mais pour conclure mes remarques, un grand bravo à lui, ne serait-ce que pour réfléchir, proposer, écrire, partager, croire. En alimentant les bonnes volontés chaque petite pierre contribue à l’édifice final.
Tu parle toujours avec franchise et c’est pour ça que c’est intéressant de discuter avec toi.
L’auteur parle plus d’un orientation globale, pointe les problèmes même s’il ne peut dans ce livre trop rentrer dans les détails de la mise en place (qui pourtant je te l’accorde sont cruciaux). Pour lui, si j’ai bien compris, cela pourrait commencer avec de changements dans les entreprises elles-mêmes (sujet qu’il connaît bien) puis dans les administrations en redonnant du pouvoir aux “bas échelons” mais effectivement il ne va pas jusqu’à détailler comment (ce qu’il annonce d’emblée dans le livre puisqu’il dit qu’il ne peut sans rentrer dans des considérations trop complexes le faire). Il le dit d’ailleurs très bien lui-même: ” mon livre ne donne qu’une orientation pour trouver des solutions. Ce n’est pas un manuel d’utilisation permettant de tout résoudre.”
Concernant le réenchantement oui l’auteur est très pragmatique mais le livre se lit quand même très facilement, il donne des exemples concrets et on sent une belle énergie.
Chaque nation reste encore pseudo-souveraine (parce que bon l’économie mondialisé tire les rênes) et avec ses particularités donc un changement au niveau national ne me semble pas improbable, si nous devons attendre que le monde change bon ben là ça donne presque envie de baisser les bras tout de suite devant l’ampleur de la tâche.
Je ne pensais pas à attendre que le monde change… mais plutôt à l’aider à changer.
Quelle belle priorité, quelle noble ambition et quelle belle source de réenchantement populaire cela pourrait être pour une nation comme la France, minoritaire mais jouissant toujours d’une aura aussi étrange que providentielle si elle servait à construire des ponts plutôt que des murs.
Cela entraînerait mécaniquement une évolution en interne, l’inverse je suis plus sceptique… mais après tout pourquoi pas ?
En fait je disais ça dans le sens où mieux vaut commencer petit (et par soi), faire à sa mesure ce qui est possible plutôt que de voir grand et ne rien faire.
On peut tout de même noter que l’auteur met le doigt sur un point très important et indispensable dans le “comment” du changement : chacun doit apprendre à assumer ses propres responsabilités. Mine de rien, si l’on change tous c’est le monde qui changera.
Je suis parfaitement d’accord que le monde changera dès qu’un nombre suffisant de personnes auront changé et accepté d’assumer leurs responsabilités.
Voilà donc comment changera le monde. OK. C’est indéniable et formidablement bien fait, pas de souci. Tous les bouquins de cocréation et de conscience collective le rappellent à juste titre et c’est aussi ma compréhension de la mécanique de tout cela.
Je crois que je parlais d’un autre « comment ». Comment ce nombre suffisant va être atteint, comment toutes ces personnes vont changer, notamment celles qui en sont le plus éloignées ?
Est-ce si assuré qu’il suffise d’attendre la prise de conscience, le « désaveuglement » collectif, l’apocalypse révélateur, ou y a-t-il quelque chose de plus à faire pour accompagner et accélérer le mouvement ?
Et c’est la qu’intervient l’idée peut-être d’une mission « sacrée » de ceux qui accèdent aux responsabilités et/ou à la notoriété de porter concrètement et systématiquement dans leurs actions et leurs écrits des solutions, des « comment », l’envie et les moyens de ce changement, au minimum l’exemplarité, si possible l’optimisme, idéalement le rêve.
« Cela peut aider quelqu’un de lui montrer vers quoi il se dirige, mais c’est peine perdue si on ne l’aide pas aussi à changer de direction » (Un cours en miracles).
Merci pour cet article intéressant, bien documenté.
Avec plaisir 🙂