Dans la vie il y a ceux qui voient toujours le pire et les autres… les fameux “Bisounours”.
Ceux qui voient toujours le bon, qui croient les autres bons. Pour autant ceux que l’on qualifie assez facilement de “Bisounours” ne sont ni de grands niais, ni des charmants imbéciles.
Ils ont tout simplement, comme chacun d’entre nous, une fâcheuse tendance à calquer leur vision du monde sur les autres. Le bon croit que tout le monde est comme lui. Le méchant aussi.
Du coup, écouter les gens parler des autres est très instructif et vous indique ce qui se cache au fond de l’âme de cette personne.
Ceux qui s’attendent toujours à ce qu’on leur fasse des coups fourrés, qui ne projettent que du négatif le font parce qu’ils croient que tout le monde pense comme eux. Parce qu’eux le feraient.
Très peu d’entre nous arrivent à se détacher de cela et à voir le monde tel qu’il est réellement, sans calquer leur vision sur celle des autres. D’ailleurs je ne crois pas qu’il soit possible de s’en détacher totalement. Nous avons tous nos illusions et ce n’est pas parce que nous arrivons à pointer du doigt une illusion chez l’autre que nous n’en avons nous-même plus aucune…
Alors aimez-vous, même dans vos illusions, car nous subissons tous leur influence. Aimez-vous d’être ce que vous êtes et tant que vous cherchez pas à nuire et à être dans le mal, tant que vous tendez à la remise en question, ne vous auto-flagellez pas en permanence.
En étant lucide sur vos propres illusions vous serez plus lucide sur l’autre mais vous ne pourrez jamais vous débarrasser de toutes vos illusions, parce que telle est notre nature.
En attendant, si vous faites plutôt partie du camp des Bisounours, Nietzsche vous fournit une belle punchline, directement tirée du Gai Savoir, qui explique pourquoi les “Bisounours” ne doivent pas être blessés d’être jugés comme tels par les autres :
3. Noble et vulgaire.
Aux natures vulgaires tous les sentiments nobles et généreux paraissent impropres et, pour cela, le plus souvent invraisemblables : ils clignent de l’œil quand ils en entendent parler, et semblent vouloir dire : « Il doit y avoir là un bon petit avantage, on ne peut pas regarder à travers tous les murs » : – ils se montrent envieux à l’égard de l’homme noble, comme s’il cherchait son avantage par des chemins détournés.
S’ils sont convaincus avec trop de précision de l’absence d’intentions égoïstes et de gains personnels, l’homme noble devient pour eux une espèce de fou : ils le méprisent dans sa joie et se rient de ses yeux brillants. « Comment peut-on se réjouir du préjudice qui vous est causé, comment peut-on accepter un désavantage, avec les yeux ouverts ! L’affection noble doit se compliquer d’une maladie de la raison. » – Ainsi pensent-ils, et ils jettent un regard de mépris, le même qu’ils ont en voyant le plaisir que l’aliéné prend à son idée fixe.
“Comparée à la nature vulgaire, la nature supérieure est la plus déraisonnable – car l’homme noble, généreux, celui qui se sacrifie, succombe en effet à ses instincts, et, dans ses meilleurs moments, sa raison fait une pause.”
La nature vulgaire se distingue par le fait qu’elle garde sans cesse son avantage en vue et que cette préoccupation du but et de l’avantage est elle-même plus forte que l’instinct et le plus violent qu’elle a en elle : ne pas se laisser entraîner par son instinct à des actes qui ne répondent pas à un but – c’est là leur sagesse et le sentiment de leur dignité. Comparée à la nature vulgaire, la nature supérieure est la plus déraisonnable – car l’homme noble, généreux, celui qui se sacrifie, succombe en effet à ses instincts, et, dans ses meilleurs moments, sa raison fait une pause. Un animal qui protège ses petits au danger de sa vie, ou qui, lorsqu’il est en chaleur, suit la femelle jusqu’à la mort, ne songe pas au danger de la mort; sa raison, elle aussi, fait une pause, puisque le plaisir que lui procure sa couvée ou sa femelle et la crainte d’en être privé le dominent entièrement, il devient plus bête qu’il ne l’est généralement, tout comme l’homme noble et généreux. Celui-ci éprouve quelques sensations de plaisir ou de déplaisir avec tant d’intensité que l’intellect devra se taire ou se mettre au service de ces sensations : alors son cœur lui monte au cerveau et l’on parlera dorénavant de « passion ». (Çà et là on rencontre aussi l’opposé de ce phénomène, et, en quelque sorte, le « renversement de la passion », par exemple chez Fontenelle, à qui quelqu’un mit un jour la main sur le cœur, en disant :« Ce que vous avez là, mon cher, est aussi du cerveau. »)
“Il est très rare qu’une nature supérieure conserve assez de raison pour comprendre et pour traiter les hommes ordinaires en tant qu’hommes ordinaires : généralement elle a foi en sa passion, comme si chez tous elle était la passion restée cachée”
C’est la déraison, ou la fausse raison de la passion que le vulgaire méprise chez l’homme noble, surtout lorsque cette passion se concentre sur des objets dont la valeur lui paraît être tout à fait fantasque et arbitraire. Il s’irrite contre celui qui succombe à la passion du ventre, mais il comprend pourtant l’attrait qui exerce cette tyrannie; il ne s’explique pas, par contre, comment on peut, par exemple, pour l’amour d’une passion de la connaissance, mettre en jeu sa santé et son honneur. Le goût des natures supérieures se fixe sur les exceptions, sur les choses qui généralement laissent froid et ne semblent pas avoir de saveur; la nature supérieure a une façon d’apprécier qui lui est particulière.
Avec cela, dans son idiosyncrasie du goût, elle s’imagine généralement ne pas avoir de façon d’apprécier à elle particulière, elle fixe au contraire ses valeurs et ses non-valeurs particulières comme des valeurs et des non-valeurs universelles, et tombe ainsi dans l’incompréhensible et l’irréalisable. Il est très rare qu’une nature supérieure conserve assez de raison pour comprendre et pour traiter les hommes ordinaires en tant qu’hommes ordinaires : généralement elle a foi en sa passion, comme si chez tous elle était la passion restée cachée, et justement dans cette idée elle est pleine d’ardeur et d’éloquence. Lorsque de tels hommes d’exception ne se considèrent pas eux-mêmes comme des exceptions, comment donc seraient-ils jamais capables de comprendre les natures vulgaires et d’évaluer la règle d’une façon équitable! – Et ainsi ils parlent, eux aussi, de la folie, de l’impropriété et de l’esprit fantasque de l’humanité, pleins d’étonnement sur la frénésie du monde qui ne veut pas reconnaître ce qui serait pour lui « la seule chose nécessaire ».-
C’est là l’éternelle injustice des hommes nobles.
Bisous pailletés : je vous aime ! 😉
Hello Sabrina !
Ton article était très intéressant à lire. On associe souvent la bonté avec la naïveté. C’est certainement vrai en grande partie. Mais nous sommes tous capables d’éprouver des sentiments négatifs malgré nous (envie, jalousie). Je pense que le “bon” ne fera pas de mal à quelqu’un qu’il n’apprécie pas par exemple. Bonne semaine 🙂
Salut Veronika et disons alors merci à Nietzsche 🙂
En fait il n’y a que des bisounours, dont certains s’ignorent encore.
L’évolution va dans le sens de l’amour croissant, non ?
D’ailleurs on voit des gens violents devenir doux, mais jamais l’inverse.
Entre les deux, la palette est très nuancée, plus nuancée que les « cases » de Nietzsche un peu rigides à mon goût.
Oui, de toute façon, aussi intelligent soit-il, Nietzsche comme les autres ne détiendra jamais qu’une part de la vérité de notre monde.
Je me pose vraiment la question sur le bien et le mal que nous avons en nous et leur propension à se développer. Quand on regarde les enfants je crois que l’on peut affirmer que nous sommes tous des Bisounours posés sur Terre et ensuite pervertis.
Dans les lectures que j’ai en ce moment (dont je vous ferais certainement part^^) deux “thèses” parlaient du sujet :
– dans Pour la sociologie de Bernard Lahire, il explique que c’est vraiment une attitude de puissant et de riche que de dire que “tout dépend de nous”, que ceux qui deviennent délinquants etc. avaient le choix et qu’ils ont fait le mauvais et qu’il ne tient qu’à eux et pas à la vie de merde qu’ils se traînent (très intéressant je vais l’interviewer je pense).
– dans… la Bible c’est beaucoup plus tranché. 1 Jean 3.16 Caractéristiques des enfants de Dieu : “Quiconque est né de Dieu ne pratique pas le péché, parce que la semence de Dieu demeure en lui et il ne peut pas pécher parce qu’il est né de Dieu. […] celui qui n’aime pas son frère reste dans la mort”, voilà voilà ^^ (je suis novice donc j’imagine que j’interprète légèrement mal parce que si j’ai bien compris nos péchons tous à un moment ou à un autre mais d’après ce passage il y aurait des gentils, des “divins” de naissance et d’autres malfaisants de naissance ? (il parle du coup de Caïn et Abel et que Caïn a été tué out simplement parce que c’était évident que c’était lui qui devait disparaître, parce qu’il était “mal”).
Ensuite il est dit que pour reconnaître les “vrais bons” des faux pervers envoyés par le Diable pour nous duper, il faut chercher ceux qui croient que “le Christ est le messie venu en homme”…
Bon alors je m’intéresse à la Bible comme je m’intéresse à tout, je ne suis pas croyante, mais d’après la théorie biblique : moi et tout ceux qui ou n’ont pas réfléchi à Jésus ou n’y croient pas, seraient issus du pur mal, nous nous cacherions sous des airs de gentillesse alors que nous sommes mal intentionné… mouais.
Je vois plutôt la question entre bien et mal comme celle entre bien et absence de bien. C’est subtil je sais mais assez important car ça ne place pas chacun des deux sur le même plan. Le négatif ne se construit que par l’absence de son contraire, il est donc relatif et éphémère tandis que le positif est absolu et préexistant (forcément !).
L’obscurité n’est que l’absence de lumière. Même les mathématiques le disent. Ainsi que notre dictionnaire : positif = « qui repose sur quelque chose d’assuré, qui ne peut être mis en doute » et négatif = « le contraire de positif ». Je n’invente rien, seul le mal peut être une illusion, le bien jamais.
Mais je pense même que l’illusion est encore plus subtile que cela et que le mal n’est qu’ignorance et incompréhension, ce qui explique que la lumière le dissipe. L’ignorance est principalement dans la sensation erronée de séparation et donc de danger.
Le péché dont parle (très mal) la bible est symboliquement celui de se croire séparé, c’est une image. C’est pourquoi le but d’une religion est de « relier », tout comme celui de la philosophie est d’éclairer par l’amour de la lumière (sagesse), ce qui revient au même combat : la lutte contre l’ignorance.
Mais le discours doit être adapté au moment, et notre esprit plus armé scientifiquement aujourd’hui pourrait comprendre sans métaphore, donc le plus grand bien que pourraient se faire toutes les religions monothéistes serait de réécrire entièrement leur livre de chevet, désacraliser leurs prophètes qui ne sont que des hommes certes éclairés et désanthropomorphiser (celui-là je l’ai inventé pour l’occas) le bon Dieu qui serait plutôt énergie bien loin de nos turpitudes et émotions.
Quant à la sociologie de Bernard Lahire concernant la responsabilité, j’imagine qu’il doit achopper sur l’injustice s’il ne prend pas en compte le concept de karma. Mais je ne m’engage pas sur ce chemin…
Pardon si j’ai été un peu saoulant, d’autant qu’en voulant faire court sur ce genre de sujet, on est forcément maladroit et pas assez nuancé mais c’est juste pour faire avancer.
Non, non ne t’excuse pas ta réflexion m’a vraiment enrichie 🙂
Lahire oui n’est absolument pas sur un registre autre que celui du scientifique, il y a même une phrase sur laquelle j’ai tiqué et je lui poserai la question. Il dit que nous sommes tous influencés par os vies, notre milieu social, nos expériences passés, là je le suis. Mais à un moment il dit que ce que la sociologie n’arrive pas à expliquer aujourd’hui (donc ce qui pourrait être la part de “libre arbitre” de l’individu). Je le cite “l’objectif et les méthodes du monde social rendent caduques la notion de liberté […] faire appel à cette notion signifierait […] “Nous ne parvenons pas à expliquer ce point.” l’invocation de la liberté individuelle ou du libre arbitre est doc une forme subtile de démission scientifique.”
Ma question sera donc : Pour vous, la présence, ne serait-ce que minimale d’un degré de liberté de l’individu par rapport à ses choix est impossible ? Vous croyez que c’est tout simplement ce que la science n’a pas encore réussit à expliquer et qu’elle l’expliquera forcément un jour ?
Je n’ai pas tout à fait d’avis à ce point sur le sujet, je sais par expérience c’est indéniable que nous sommes énormément façonnés par nos histoires mais je me demande à quel point ? Cela influence-t-il TOUTES os décisions à divers degrés ? That is the question ^^
Ça promet d’être intéressant !