Ce matin, je reçois un mail de l’INSERM m’indiquant : “une nouvelle étude suggère une association entre la consommation d’aliments ultra-transformés et le sur-risque de développer un cancer.” Noooooon… Qui l’eut cru !
N’est-il pas devenu ridicule d’attendre que quelque chose soit “prouvé” pour pouvoir le “penser” ? Sommes-nous à ce point abrutis par la déification de la science ?
Certes, mettre en lumière des logiques, des mécanismes par le biais des sciences est important, nécessaire. Parce qu’il existe parfois des choses contre intuitives et parce que nos mécanismes de décision ne sont jamais 100 % rationnels.
Le problème, aujourd’hui, c’est plutôt notre anorexie mentale face aux divers modes de pensée. Nous sommes dans une ère scientifique où tout doit être prouvé par les outils de la science. Ce qui n’est “pas prouvé” vit une sous-existence, une sorte de vie clandestine et n’en sort que lorsque le sceau de l’éclatante reconnaissance scientifique vient frapper.
Ce qui n’est “pas prouvé” vit une sous-existence, une sorte de vie clandestine et n’en sort que lorsque le sceau de l’éclatante reconnaissance scientifique vient frapper.
Ainsi, en ce début de 21ème siècle, nous ne jurons que par la science, sa pensée, ses schémas, en nous privant des nombreuses autres grilles de lecture du monde. Nous évoluons dans un magnifique verger où pommier, poiriers et abricotiers nous offrent leurs fruits mais nous restons sans cesse les yeux rivés sur le seul pommier. La foule guette avidement ses fruits sans s’apercevoir que, tout près, des délicieux abricots mûrissent puis pourrissent au sol faute d’être consommés…
Poiriers et abricotiers nous offrent leurs fruits mais nous restons sans cesse les yeux rivés sur le seul pommier…
Si nous sommes doués de conscience, c’est aussi pour s’en servir et, oui – sacrilège ! – marquer nos réflexions du sceau de nos pensées, de notre façon particulière de voir le monde. Cela n’est pas forcément une mauvaise chose, contrairement à ce que le scientisme actuel voudrait nous faire croire. L’intervention du particulier, de cette conscience humaine indétachable du subjectivisme n’est pas forcément une mauvaise chose. Nous ne sommes pas obligés de ne voir le monde qu’à travers la grille de lecture scientifique qui a, ces derniers temps, tendance à nous déposséder de notre libre arbitre, de ce qui bout au plus profond de nous, de notre “âme et conscience”.
A ce propos, je vous glisse une citation extraite de mon dernier dossier sur la désobéissance à retrouver dans le magazine Nexus actuellement en kiosques :
« Le débat politique est gelé par une tromperie concernant la science [qui définit le savoir individuel comme inférieur au savoir scientifique. Les individus cessent de se fier à leur propre jugement et demandent qu’on leur dise la vérité […] Or une telle délégation […] substitue l’obéissance à un mythe et finalement légitime les expériences conduites sur les hommes. »
Ivan Illich dans La Convivialité , Points, 1973.
Sous prétexte que la science, en évaluant nos comportements, en a conclu que nos pensées sont “irrationnelles”, notre âme, nos pensées sont injustement mises au rebut, pointées du doigt et cantonnées à un rôle très secondaire.
Sous prétexte que la science, en évaluant nos comportements, en a conclu que nos pensées sont “irrationnelles”, notre âme, nos pensées sont injustement mises au rebut
Mais, dans un monde dont nous commençons à peine à explorer les mystères, n’est-ce pas justement être parfaitement rationnel que d’explorer toutes les possibilités sans se priver d’aucune d’elles ?
Car même avec les protocoles scientifiques les plus stricts, il est encore aujourd’hui très difficile de vérifier réellement la qualité et les conflits d’intérêts réels en jeu dans une étude (d’ailleurs personne ne le fait ou si peu). Voir la vie selon l’unique principe du rapport bénéfice-risque en ayant la naïveté de croire que les industriels n’ont pas pour critère premier l’aspect financier revient à gravement ignorer ce que nous enseignent l’histoire et l’actualité. La mise sur le marché de médicaments comme le Mediator montre d’ailleurs à quel point l’ensemble de nos processus et réglementations “garde-fou” échouent à nous protéger en la matière.
Même avec les protocoles scientifiques les plus stricts, il est encore aujourd’hui très difficile de vérifier réellement la qualité et les conflits d’intérêts réels en jeu dans une étude
Les mêmes qui hier villipendaient des thérapies douces comme la méditation (qui a aujourd’hui “scientifiquement prouvé” sa valeur) tapent aujourd’hui sur d’autres sujets et taperont demain sur d’autres encore, pour finir parfois par reconnaître quinze ans plus tard que c’est finalement intéressant. D’autres préfèrent prendre connaissance des études mais aussi juger par eux-mêmes, sans s’en remettre entièrement aux mains de la science et des décideurs politiques. Ce ne sont ni des fous, ni des complotistes. Simplement des êtres libres et libre-penseurs.
C’est pourquoi j’exhorte chacun d’entre nous à comprendre que la liberté commence par le fait de s’écouter. Je crois profondément que c’est l’un des cadeaux les plus précieux que nous avons et qu’il serait réellement dommage de s’en priver par “conventions sociales” ou parce que “on” dit que la science est la seule grille de lecture digne de ce nom…
Dans cette courte vidéo sur le thème de la collapsologie, une ingénieure parle très bien de cette mise au rebut de l’esprit humain vu comme facteur “défaillant” par la science. Elle explique comment c’est précisément le fait que les collapsologues (alias “penseurs de l’effondrement de nos sociétes”) ne mettent pas de côté leur esprit qui l’a séduite :
Sus à la mise au rebut de ce qui compose la moitié de notre être : nous avons le droit de nous penser autrement que comme des corps mus par des mécanismes uniquement biologiques, normés et explicables
Soyez fous ! Osez penser par vous-mêmes, écouter vos intuitions et faire fi des limites artificielles imposées par les normes sociales de note temps ! N’ayez pas peur d’aller à contre-courant. Vous avez le droit d’avoir une pensée et devriez en être fiers. Souvent, notre “pensée irrationnelle” s’est avérée supérieure à la froide grille de lecture scientifique. Alors, sus à la mise au rebut de ce qui compose la moitié de notre être : nous avons le droit de nous penser autrement que comme des corps mus par des mécanismes uniquement biologiques, normés et explicables. C’est peut-être même là la seule raison qui vaille que la vie soit vécue…
Et n’oubliez pas non plus, n’oubliez jamais : parmi nous, en ce moment, se trouvent les prophètes du futur. Ceux qui, grâce à leur instinct et à leur capacité à sortir des normes, captent déjà des choses encore inexplicables mais qui feront demain notre quotidien… Or les contemporains de ces prophètes sont généralement incapables de les comprendre et finissent par leur rendre la vie impossible. N’oubliez pas de leur laisser un petit espace, une respiration. D’ailleurs, vous êtes peut-être l’un d’entre eux 🙂
Pour aller plus loin…
Mon article C’est prouvé au moins ce que tu dis ?
Ma sélection de livres :
Ton article m’a intéressée car je suis assez investie dans la promotion de l’esprit critique et des outils scientifiques… Mais en fait je ne suis qu’en partie d’accord. D’accord car il est clair que certains voudraient faire croire que tout peut être prouvé scientifiquement et que tout acte devrait se fonder dessus, j’en entends même qui prétendent que des décisions politiques devraient se fonder uniquement sur une démarche scientifique (alors que les valeurs ne sont pas une histoire de science, c’est tout à fait rationnel de défendre l’ultra libéralisme si on y gagne, et c’est tout à fait rationnel de vouloir se battre pour ses droits quand on fait partie de ceux qui galèrent ! Les valeurs sont différentes, mais ce sont deux rationalités). Et pas tout à fait d’accord car je pense qu’il n’y a aucune contradiction entre le fait de vouloir une monde meilleur, d’aimer l’art, la nature, des choses qui ne parlent pas forcément à notre logique scientifique… et le fait de vouloir fonder ses opinions sur des choses vérifiées. Evidemment que certaines études ne démontrent pas grand chose de plus, mais ce n’est pas forcément leur but, elles cherchent à renforcer les connaissances et à reproduire ce qui a été fait ailleurs pour en vérifier la validité. Le reste, ce sont surtout des buzz médiatiques. Donc attendre chaque nouvelle étude et ne rien faire en attendant, non, mais baser son discours sur ce qui nous semble être prouvé… Ca semble quand-même pas mal. (Bon et il faut avouer aussi qu’on a tendance à prendre ce qui nous arrange : je connais des personnes qui brandissent des études dès qu’elles parlent de l’influence des perturbateurs endocriniens ou de l’alimentation sur la santé, et bizarrement quand ces mêmes méthodes amènent à conclure une fois de plus qu’on a aucune raison de penser que l’homéopathie, la lithothérapie ou les Fleurs de Bach sont efficaces… là y’a plus personne ! Et c’est un problème, ce biais de confirmation)
D’ailleurs, être attaché à la science ça ne signifie pas voir la vie comme un ensemble de mécanisme biologiques et point final, heureusement… Il y a de la place pour la poésie ! BouletCorp avait fait un très bel article là dessus d’ailleurs, sur l’émerveillement qui peut être lié à la connaissance scientifique. Dans tous les cas je vois une GRANDE différence entre considérer la science comme l’alpha et l’oméga (ce qui m’agace aussi), et considérer que finalement ce n’est pas si important que les choses soient prouvées ou non. Et par exemple effectivement mon esprit rationnel bondit un peu en voyant ta sélection de livres, je le confesse volontiers… Bien sûr il faudrait que j’en vérifie le contenu etc, en l’état ce ne sont que des impressions. Mais le concept de quantique est tellement mis à toutes les sauces que j’ai développé une grande méfiance…
Bien sûr et heureusement ! Des scientifiques de haute volée comme Hubert Reeves le démontrent parfaitement 🙂
Quant à la quantique, ce n’est pas parce que certains la montent en épingle qu’elle n’existe pas ou n’est pas valable. Encore une fois, je ne m’inscris dans aucun courant caricatural et me détache de beaucoup de choses, les livres sélectionnés font écho à ce qui est dit dans l’article pour ceux que ça intéresse, vous avez le droit de ne pas être d’accord, je ne chercherai pas à vous contredire, j’ai trop en haute estime la liberté pour ça 🙂
Exactement Irène et quand tu dis ” je pense qu’il n’y a aucune contradiction entre le fait de vouloir une monde meilleur, d’aimer l’art, la nature, des choses qui ne parlent pas forcément à notre logique scientifique… et le fait de vouloir fonder ses opinions sur des choses vérifiées” je pense que tu n’as peut-être pas saisi totalement la logique et le propos de mon article car je pense également cela. La science est nécessaire pour prouver et en même temps des fois c’est vraiment énervant de vois que nous n’appliquons presque jamais le principe de précaution quand les premières études nous diraient plutôt d’aller en ce sens… C’est plus de ça dont je parle finalement, cette facette “dépossession” du libre arbitre dans une société du “tout science” voire du scientisme. Je ne sais pas si la plupart de nos concitoyens savent que la science a aussi ses limites, et pas des moindres. C’est plutôt être conscient de tout cela et des limites pour mieux appréhender le monde sans se fermer (et tout en ayant ce socle solide).
Bonjour Sabrina,
Merci pour cet article qui nous rappelle le droit (le devoir ?) que nous avons d’écouter notre intuition. Article savoureux comme tous les autres d’ailleurs, Des articles qui remuent les méninges et les idées reçues. J’aime beaucoup votre travail.
La science est théoriquement impartiale et tout ce qui n’est pas frappé de son sceau est taxé de pseudo-science. Idéalement, elle devrait rester absolument impartiale. Mais que dire de cette même science lorsque parfois, l’objet de ses démonstrations est entaché de conflits d’intérêts et ne vise qu’à légitimer une activité économique ?
De même, les pseudo-sciences sont souvent le reflet d’une sagesse humaine ancestrale oubliée qui a rapport avec notre intuition et que nous aurions intérêt à re-découvrir. Pour autant certaines de ces pseudo-sciences ne sont que du charlatanisme au mieux inutile et au pire dangereux. Alors quoi ? Comment s’y retrouver ? Justement comme vous le suggérez si bien dans ce billet, en apprenant à nous écouter davantage, à nous faire confiance et à suivre notre intuition.
Belle journée !
Isabelle.
Merci Isabelle pour votre réponse, tout est dit ! Le scientisme c’est de croire à la quasi perfection de l’homme qui serait capable d’objectivité presque parfaite grâce aux outils de la science or tout cela a ses limites d’où l’intérêt de notre regard critique.
Je trouve cela important de connaitre des faits, pour pouvoir distinguer les “croyances” des “réalités”. En parallèle, je pense également que notre intuition individuelle est extrêmement puissante et importante, mais que la majorité d’entre nous ne sait plus écouter son instinct et a tendance à fortement se laisser influencer par des “on dit” “j’ai lu quelque part” “machin m’a dit” et par des mouvements de pensées générales qui emportent un paquet d’esprits (ex: bullshit partagés en masse sur les réseaux, etc). Du coup, le bon équilibre est là selon moi: se renseigner via des sources fiables et puis mélanger ça à son instinct et voir ce qu’on en ressort.
On est sur la même longueur d’ondes 🙂
Quant tu dis “source fiable”, qu’entends-tu par là ? (car pour beaucoup, et c’est bien là le problème, une “source fiable” n’est finalement qu’une source “autorisée”, un scientifique reconnu par ses pairs…)
L’INSERM par exemple, ou le CNRS. Encore que, c’est pas facile de définir une source fiable. Je dirais que lorsqu’il s’agit d’études publiées dans des journaux, reproduites et confirmées, là on peut commencer à bien y croire (si on le veut évidemment). Ce que j’aime avec la science c’est qu’elle est impartiale, elle n’est pour aucun clan et, je crois que la réalité (si on peut définir cela comme quelque chose de vraiment possible) est toujours plus proche des études, faits, constats et observations (reproduits et confirmés donc) que des avis toujours subjectifs des individus. Enfin, c’est un sujet qui me passionne! Merci pour l’article du coup 🙂
Avec plaisir, ça me passionne aussi !
D’ailleurs, j’en parlerai longuement et avec de nombreux intervenants contradictoires dans un article à paraître en mars dans le magazine Nexus sur le thème de l’évaluation des médecines douces 🙂
Pas trop d’accord avec Cendra. Beaucoup d’études sont financées par les lobbys sans que l’on ne le sache !…
C’est effectivement un vaste problème (de plus en plus régulé mais ça prend du temps), je l’ai remarqué en passant au crible pour mon enquête sur la pilule la littérature scientifique des 25 dernières années sur les contraceptions hormonales, très souvent des conflits d’intérêts indirects non mentionnés par les scientifiques…